Pierre DELORME répond dans son excellent ouvrage
"Dojo, le temple du sabre".
Avant chaque entrainement de la journée, il y avait le rythme immuable de nettoyer le plancher de l'aire de combat. C'est en effet une règle, dans chaque Dojo de Sabre, de passer systématiquement la serpillère.
Le plancher de combat en effet, doit être impeccable.
D'abord par sécurité : des éclats de bambou y subsistent parfois car même bien surveillées, les lamelles de bambou qui composent les Shinai, les sabres d'entraînement, risquent de s'effilocher et blesser gravement les pieds nus des pratiquants.
Ensuite, c'est indispensable pour un entretien correct du plancher. Celui-ci joue déjà en fonction du climat et des grandes différences de températures et il faut préserver sa fibre. Une bonne humidité entretenue régulièrement lui garde son état d'une façon constante et pour la pratique des combattants, cela empêche de glisser.
A toutes ces raisons pratiques s'en ajoute une autre. L'exercice de frotter le plancher est un excellent échauffement qui fortifie les jambes. Mais c'est également, et ceci est peut-être le plus important, une excellente leçon d'humilité et de respect. Nettoyer le Dojo, frotter le plancher, sont des tâches ménagères manuelles comme celles exercées dans un monastère Zen et imposent un esprit d'humilité et de simplicité. C'est se concentrer sur quelque chose de simple et l'exécuter avec conviction.
Passer la serpillère ne se fait pas de n'importe quelle façon. là aussi, il y a la manière: à quatre pattes, le nez près du plancher, les mains sont posées sur la toile soigneusement étalée. Ce sont les jambes qui poussent vers l'avant. Et l'on passe ainsi d'une façon continue, sans bavure et sans oublier un pouce de surface, sur toutes les planches de bois. Baisser la tête pour frotter le plancher, c'est abandonner son Ego, son orgueil. C'est un acte comparable à celui de franchir le seuil de la porte toujours très basse des maisons de thé qui oblige même les plus grands, les plus puissants, à courber humblement la tête.
la pratique du Sabre dans le Dojo commençait toujours par cette humilité gestuelle. Normalement, dans un Dojo habituel, ce sont les Kohai, les "bleus" qui passent la serpillère. Ici, dans ce Dojo exceptionnel, les disciples n'auraient laissé à personne le soin de l'entretien. Le Dojo était un peu leur Dojo, leur maison à eux.
Nous suivons sans nous en rendre compte la voie de Jigoro Kano et de ses premiers disciples, quand il a "inventé" le judo une centaine d'années auparavant. L'entraînement débutait toujours par le balayage des Tatami en paille de riz sur lesquels ils allaient pratiquer.
Quand maintenant dans les Dojo modernes on voit des balais mécaniques pour pousser la serpillère sans se baisser, on s'aperçoit que l'esprit du Zen a été complètement abandonné. On remarque aussi que les planches sont moins propres et durent moins longtemps...